Depuis le 24 février 2022 et l’envahissement de l’Ukraine par les troupes russes, l’inquiétude grandit, notamment pour les sociétés dont l’activité est directement ou indirectement en lien avec ces deux pays.
Deux situations doivent être distinguées.
Tout d’abord, certaines entreprises ne pourront plus exécuter leurs contrats, ceux-ci relevant du périmètre des mesures restrictives prises les 23, 25, 28 février ainsi que les 2 et 9 mars 2022 par le Conseil de l’Union européenne (UE).
Pour rappel, ces sanctions historiques dans l'histoire de l'UE sont particulièrement larges, puisqu’elles concernent non seulement des mesures de gel des avoirs et des ressources mais aussi des interdictions d’exporter et de vendre certains produits en Russie.
En outre, sont visées par ces sanctions, à ce jour, plus de 700 entités russes nommément désignées, mais aussi les filiales russes de groupes européens dont il est constaté qu’elles ne sont pas autonomes de leur société mère européenne.
La vigilance est d'autant nécessaire pour tous les cocontractants de ces entités que, conformément à l’article 459-1 bis du code des douanes, est puni d’une peine de 5 ans d’emprisonnement le fait de contrevenir ou de tenter de contrevenir à ces mesures.
Dans une telle hypothèse, l’article 1218 du code civil est là pour permettre aux entreprises de sortir d'un contrat devenu, du fait de l'entrée en vigueur soudaine de ces mesures, juridiquement impossible à exécuter.
Selon cette disposition, il y a force majeure « lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ».
Les contrats relevant du périmètre des sanctions prises par l’UE pourront donc être suspendus ou résolus de plein droit s’il est démontré que ces sanctions étaient, du point de vue de l’entreprise qui en subit les conséquences, à la fois imprévisibles, extérieures et irrésistibles.
Cette démonstration nous semble pouvoir être rapportée pour les entreprises françaises non personnellement visées par les sanctions, celles-ci étant en pratique dans l’impossibilité d’exécuter leurs contrats, sans possibilité raisonnable d’anticiper l’invasion de l’Ukraine par les troupes russes.
Il en va en revanche autrement pour les entreprises directement visées par les sanctions, la Cour de cassation ayant jugé en 2020 que ne constituait pas un cas de force majeure pour celle qui le subit, faute d’extériorité, le gel des avoirs d’une personne ou d’une entité qui est frappée par cette mesure (Cass. ass. plén., 10 juillet 2020, pourvoi n° 18-18.542).
S’agissant, par ailleurs, des entreprises dont le contrat ne relève pas à proprement parler du périmètre des sanctions prises par l’Union européenne, elles pourraient également subir les conséquences de ce conflit.
L’on pense évidemment ici au renchérissement annoncé des produits indispensables à l’exercice de certaines activités, parmi lesquels le gaz, les engrais, les céréales ou bien encore les composants électroniques.
Si ce surcoût, pour important qu'il soit, n’est pas de nature à caractériser une « impossibilité » au sens de la notion de force majeure, il pourra à notre sens être invoqué dans le cadre d’une action en révision pour imprévision.
Pour rappel, selon l’article 1195 du code civil, « si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l'exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n'avait pas accepté d'en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant ».
En cas d’échec de la négociation entre les parties « dans un délai raisonnable », cet article précise que « le juge peut, à la demande d'une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu'il fixe ».
Or, s’agissant de la guerre en Ukraine, dont on peut raisonnablement penser qu'elle était juridiquement imprévisible, on peut hélas craindre qu’elle aboutisse à rendre l’exécution de certains contrats bien trop chère pour certains cocontractants dont les sources d’approvisionnement ne sont pas substituables.
Dans une telle hypothèse, il semble essentiel que ces entreprises demandent dès à présent une renégociation du contrat, et ce dans la mesure où il s’agit là d’une étape indispensable avant la saisine d’une juridiction susceptible de réviser le contrat ou d'y mettre fin.
Enfin, indépendamment de ces deux outils que constituent la force majeure et la révision pour imprévision, il convient dès à présent de réfléchir à la possibilité d’inclure dans les contrats une clause relative aux conséquences que ce conflit est susceptible de causer sur la bonne exécution des obligations contractuelles.