Le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé constitue (enfin) une liberté fondamentale

Par une décision rendue le 20 septembre 2022, le Conseil d’État a, pour la première fois, consacré le droit de vivre dans un environnement équilibré comme une liberté fondamentale au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative, ouvrant ainsi la voie à un contrôle accru du juge des référés en la matière.

07 octobre 2022

Dans cette affaire, le département du Var avait entrepris des travaux après avoir décidé du recalibrage d’une route départementale permettant notamment la création d'une voie cyclable.

Estimant que les travaux portaient atteinte de manière irréversible à des espèces protégées et entraînaient la destruction de leur habitat, deux requérants ont saisi le tribunal administratif de Toulon d’un référé-liberté tendant à ce qu'il soit enjoint au département du Var de suspendre les travaux.

Déboutés de leur demande, les requérants se sont pourvus en cassation. L’occasion, pour le Conseil d’État, de censurer le raisonnement du juge des référés en ce qu’il a considéré que la protection de l'environnement ne constituait pas une liberté fondamentale susceptible d’être protégée par l’exercice d’un référé-liberté.

Et de juger, de façon remarquable, que « le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, tel que proclamé par l'article premier de la Charte de l'environnement, présente le caractère d'une liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative ».

Pour autant, la Haute juridiction administrative n’a pas manqué d’accompagner cette reconnaissance de conditions précises fixant les limites d’un tel recours.

En premier lieu, s’agissant de l’appréciation de la justification de l’atteinte, le juge du Palais Royal a précisé que celle-ci s’apprécie soit au regard de la « situation personnelle du requérant » (qui peut tenir notamment à l’atteinte grave et directe à son cadre ou à ses conditions de vie) soit au regard des « intérêts qu’[il] entend défendre ».

Très concrètement, le requérant devra faire état de « circonstances particulières caractérisant la nécessité pour lui de bénéficier, dans le très bref délai prévu par [l’article L. 521-2 du code de justice administrative] d'une mesure de la nature de celles qui peuvent être ordonnées sur le fondement de cet article ».

Mais encore faut-il, ajoute en second lieu le Conseil d’État, que « la situation litigieuse permette de prendre utilement et à très bref délai les mesures de sauvegarde nécessaires », celles-ci s’appréciant « en tenant compte des moyens dont dispose l'autorité administrative compétente et des mesures qu'elle a déjà prises ».

Au cas d’espèce, le juge administratif n’a toutefois pas pu faire application de ces conditions, ayant retenu que le critère préalable de l’urgence n’était pas rempli, ce qui faisait directement obstacle au prononcé de toutes mesures dans le cadre d’un référé-liberté.

Si la consécration, encore hélas bien théorique, du droit à vivre dans un environnement équilibré en tant que liberté fondamentale au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative est à saluer, elle n’en demeure pas moins tardive.

En effet, sur le fondement de l’article 1er de la Charte de l’environnement qui prévoit que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », le Conseil constitutionnel a déjà reconnu que la protection de l’environnement, en tant que patrimoine commun des êtres humains, constituait un objectif à valeur constitutionnelle (C. const., déc. n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020).

Plus récemment, saisi de la loi portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat, le Conseil constitutionnel a émis des réserves d'interprétation sur le fondement de la Charte de l'environnement, considérant que l’article 1er de ladite Charte faisait obstacle à l’édiction de certaines mesures – notamment le déploiement d'un terminal méthanier flottant et la dérogation à certaines règles applicables aux installations de production d'électricité à partir de combustibles fossiles – qui ne seraient justifiées que par l’existence d'une « menace grave sur la sécurité d'approvisionnement en gaz » (C. const. déc. n° 2022-843 DC du 12 août 2022).

Ceci étant, pour tardive et précautionneuse qu’elle soit, la consécration par la Haute juridiction administrative d’un droit à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé doit être approuvée.

A charge pour les praticiens de s'en emparer.

Pour lire l'arrêt : https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000046316542?init=true&page=1&query=&searchField=ALL&tab_selection=cetat

*Article rédigé avec Marine Bahaderian