En droit des contrats, une « cagnotte » créée en soutien d’une personne mise en examen pour homicide est-elle licite ?

BIen que la jurisprudence ne soit pas encore définitivement fixée sur le sujet, il est permis de penser qu'une telle cagnotte doit être annulée, car contraire aux dispositions du code civil.

05 juillet 2023

Quelques rappels basiques mais utiles :

1️⃣ Si la cagnotte a été créée pour payer le coût des condamnations mises à la charge de l’intéressé, elle sera nécessairement illégale, car contraire à l’article 40 de la loi du 29 juillet 1881.

Pour rappel, ce texte interdit « d’ouvrir ou d’annoncer publiquement des souscriptions ayant pour objet d’indemniser des amendes, frais et dommages-intérêts prononcés par des condamnations judiciaires, en matière criminelle et correctionnelle [...] ».

Mais, si les faits litigieux viennent d’être commis, comme c'est souvent le cas lorsqu'une cagnotte est créée, il sera textuellement difficile de faire application de cette disposition, celle-ci ne faisant référence qu’à des amendes, frais et dommages intérêts d’ores et déjà « prononcés ».

De plus, rien n’empêche des intéressés souhaitant contourner cette interdiction de présenter la cagnotte comme finançant exclusivement des frais « annexes », tels que des honoraires d’avocat ou encore des pertes de revenus professionnels nécessaires pour une famille.

2️⃣ Les demandeurs à l'annulation auront donc intérêt à invoquer également la violation des dispositions de l’article 1162 du code civil, lesquelles interdisent à un contrat de « déroger à l’ordre public », soit par ses « stipulations », soit par son « but ».

En effet, défini comme les « bornes » de la liberté contractuelle, l’ordre public pourrait être interprété comme s’opposant à une cagnotte créée afin de :

- collecter des fonds pouvant in fine permettre à l’intéressé, le cas échéant grâce à l'aide de sa famille, de régler des condamnations pénales ;

- soutenir symboliquement et financièrement un combat consistant à légitimer des faits susceptibles de constituer une infraction pénale.

Car, même lorsqu'une cagnotte est formellement créée en soutien de la famille d'un accusé, force est d'admettre qu'il s'agit là d'un soutien indirect mais certain de l'intéressé, et plus précisément des actes qui lui sont attribués.

C’est la raison pour laquelle, par un jugement du 6 janvier 2021, le Tribunal judiciaire de Paris a annulé, car contraire à l'ordre public, la cagnotte dite du « boxeur gilet jaune » créée le 6 janvier 2019 sur le site Leetchi.

➡️ Si une conclusion à l'annulation se dessine donc, la jurisprudence n’est pas encore établie, de sorte qu’il reviendra aux juges saisis qu’ils se prononcent "au cas par cas" sur les cagnottes dont la légalité est contestée.

Pour ce faire, il leur appartiendra d'interpréter finement les motifs mis (explicitement et implicitement) en avant lors de la création et de la diffusion de la cagnotte.

Sauf à ce que, face à ce qui pourrait ressembler à une nouvelle et inquiétante forme d'expression politique, le législateur intervienne pour que soit plus strictement contrôlée la création des cagnottes en ligne.